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Édition du 12 novembre 2018,
section ACTUALITÉS, écran 2
Selon les plus récentes données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), chaque mois, 68 % des consultations auprès des médecins spécialistes du Québec sont réalisées à temps. Une performance en deçà des objectifs, fixés par Québec, de 90 % pour les cas urgents et de 75 % pour les patients jugés moins à risque. Présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), la Dre Diane Francoeur affirme que différentes raisons expliquent ces performances, notamment le fait que la demande pour obtenir un rendez-vous est très forte. « Chaque mois, entre 30 000 et 40 000 demandes de consultation sont formulées », note-t-elle.
Des régions plus critiques
Avec un temps d’attente moyen de 128 jours et seulement 43 % des rendez-vous vus dans les délais requis au regard de l’état des patients, Montréal est l’une des régions où l’accès aux médecins spécialistes est le moins efficace. « Montréal, c’est plus gros. Plus complexe », affirme la Dre Francoeur. Le guichet unique mis en place par Québec, le fameux centre de répartition des demandes de services (CRDS), a notamment pris plus de temps à être efficace dans la métropole, constate la Dre Francoeur.
Rendez-vous réalisés par les médecins spécialistes
(entre le 19 août 2018 et le 15 septembre 2018)
CRDS Nombre de rendez-vous % Délais respecté Temps d’attente (jours)
Bas-Saint-Laurent : 1296 43 126
Saguenay–Lac-Saint-Jean 1413 72 83
Capitale-Nationale 2721 55 122
Mauricie–Centre-du-Québec 1854 68 107
Estrie 2848 64 112
Montréal 5582 43 128
Outaouais 1386 70 61
Abitibi-Témiscamingue 736 84 63
Côte-Nord 204 52 57
Gaspésie 260 65 62
Chaudière-Appalaches 2640 60 147
Laval-Laurentides-Lanaudière 2708 60 47
Montérégie 3854 75 50
Des Îles 45 47 87
Beaucoup d’attente en gastroentérologie
Certaines spécialités présentent des temps d’attente plus importants.
Spécialités présentant les plus longs temps d’attente
Gastroentérologie Saguenay–Lac-Saint-Jean 259 jours
Urologie Chaudière-Appalaches 239 jours
Ophtalmologie Bas-Saint-Laurent 238 jours
Gastroentérologie Montréal 234 jours
Neurologie Chaudière-Appalaches 232 jours
Gastroentérologie Mauricie–Centre-du-Québec 230 jours
ORL Estrie 230 jours
Présidente de l’Association des gastroentérologues du Québec, la Dre Josée Parent affirme que le taux de rendez-vous par gastroentérologue est particulièrement élevé dans la province. Avec le dépistage du cancer colorectal, la pression sur ces médecins spécialistes a explosé ces dernières années. « On a besoin de plus de gastroentérologues. Surtout à Montréal », dit-elle.
L’attente maintenant connue
Avant la création des CRDS, il était impossible de connaître le temps d’attente pour voir un médecin spécialiste au Québec. Depuis 2016, les omnipraticiens qui veulent obtenir un rendez-vous en spécialité pour leurs patients doivent obligatoirement passer par le CRDS de leur région. Les médecins de famille doivent accorder une priorité médicale à leur patient. Un patient de catégorie « A » doit par exemple être vu par un médecin spécialiste en trois jours et un autre de catégorie « E », en 365 jours. Les deux tiers des spécialités médicales sont déjà intégrées aux CRDS. Les autres le seront en janvier. Quoiqu’ayant connu certains ratés, décriés entre autres par les médecins de famille, les CRDS sont essentiels, selon la directrice des services hospitaliers, de la médecine spécialisée et universitaire au MSSS, la Dre Lucie Opatrny. « Pour la première fois, on peut mesurer la vraie demande », dit-elle. « À maturité, les CRDS auront un impact positif sur les patients », assure la Dre Francoeur, qui aimerait même que les données sur les temps d’attente soient rendues publiques.
Des patients absents
Outre la forte demande de consultations pour les médecins spécialistes, plusieurs facteurs expliquent que le tiers des rendez-vous soient réalisés passé les délais prescrits actuellement. La Dre Opatrny indique par exemple que certains patients ne se présentent pas à leur rendez-vous ou reportent leur consultation (le gouvernement autorise jusqu’à trois reports par patient). Lorsqu’un patient reporte trois fois son rendez-vous, souvent, celui-ci finit par être traité « hors délai ».
S’assurer de la pertinence des demandes
La Dre Francoeur ajoute que la pertinence de certaines demandes de consultation, surtout pour les très nombreuses demandes de catégorie « E », peut être remise en question. Est-ce les médecins de famille qui demandent inutilement des rendez-vous ? Ou les patients qui mettent trop de pression pour en obtenir ? La Dre Francoeur refuse de désigner des coupables. « Très peu de gens s’inventent des maladies, dit-elle. Mais il faut trouver les bonnes personnes pour traiter le bon patient. » Et le médecin spécialiste ne doit pas être la seule solution, soutient la Dre Francoeur. À ce sujet, la FMSQ et Québec travaillent pour mettre sur pied des outils d’aide afin de limiter les demandes de consultation non urgentes. « Pour les patients de catégorie E, la consultation est-elle toujours la meilleure option ? demande la Dre Opatrny. Parfois, le médecin de famille pourrait simplement téléphoner à un médecin spécialiste qui répondrait à ses questions. Ça éviterait une demande de consultation. »
Priorité aux cas urgents
Vice-président de la FMSQ, le Dr Raynald Ferland croit que la façon dont les CRDS distribuent les rendez-vous doit être revue pour donner la priorité aux cas urgents. Selon lui, il n’est « pas normal » que 77 % des patients « E » soient vus dans les délais prescrits comparativement à seulement 72 % des patients « B ». « On peut répondre à 100 % des patients plus urgents [A,B et C] dans les délais. Il faut réorganiser le système pour y arriver », affirme-t-il.
Nombre de rendez-vous réalisés dans les délais prescrits par priorité clinique
Priorité médicale % dans les délais prescrits
A 78 %
B 72 %
C 65 %
D 63 %
E 77 %
une « ligne d’urgence » pour sonner l’alerte
Chaque histoire de patient attendant plus d’un an pour voir un médecin spécialiste fait bondir la Dre Francoeur. « Attendre plus d’un an, ça n’a pas de bon sens », dit-elle. La Dre Francoeur croit qu’une « ligne d’urgence » devrait être créée pour permettre aux patients qui ont l’impression de passer entre les mailles du filet de parler à quelqu’un. « Ces patients sont inquiets. Ils doivent pouvoir parler à un être humain et sonner l’alerte s’ils attendent depuis trop longtemps. »
La ministre McCann au courant de la situation
La ministre de la Santé, Danielle McCann, dit être au courant des problèmes d’accès aux médecins spécialistes au Québec. Elle promet de s’y attaquer. Tout en estimant que le système des CRDS « est un bon outil », la ministre souhaite tout de même en améliorer le fonctionnement. Mme McCann dit aussi vouloir s’asseoir avec la FMSQ pour « voir comment sont organisés les médecins spécialistes, la distribution, le fonctionnement… ». « On peut faire mieux. Tant que des patients attendent, on peut faire mieux et on doit tous travailler ensemble pour y arriver », martèle pour sa part la Dre Francoeur.
Il y a cinq ans, Yves Lavoie, de Sainte-Agathe, a vu apparaître une petite bosse sur son annulaire droit. Une demande de consultation a été formulée à un hôpital des Laurentides pour une rencontre avec un plasticien, explique le retraité aujourd’hui âgé de 66 ans.
Les mois ont passé, et M. Lavoie n’a pas obtenu de rendez-vous. « J’appelais souvent pour savoir quand je serais vu. On me disait d’arrêter. Qu’on me rappellerait », dit-il.
Puisque sa bosse sur l’annulaire grossissait toujours, M. Lavoie a fini par s’inquiéter. « La tumeur était si grosse que la peau de mon doigt était devenue toute mince », relate l’homme. Toujours sans nouvelles d’un spécialiste, M. Lavoie s’est résigné à consulter au privé. Il a été opéré le mois dernier, moyennant 1280 $.
Encore aujourd’hui, soit près de six ans après sa demande initiale de consultation, il n’a toujours pas reçu de rendez-vous au public. « Je me demande combien de temps ça prendra, dit-il. Au moins, ma tumeur était bénigne… »
L’histoire de M. Lavoie n’est pas unique. En octobre, La Presse a relaté l’histoire d’une dame qui attendait depuis des mois de voir un neurologue à Laval
Des dizaines de courriels de lecteurs vivant la même situation ont ensuite été reçus. Du nombre, plusieurs provenaient de patients habitant la région dite des « trois L » (Laval-Laurentides-Lanaudière).
Médecin de famille depuis 37 ans à Laval et président sortant de l’Association des médecins omnipraticiens de Laval (AMOL), le Dr Michel Breton estime que la région de Laval-Laurentides-Lanaudière est « l’une des régions les plus pauvres en spécialités dans la province », alors que la population ne cesse d’y croître. Selon lui, certaines spécialités comme la gastroentérologie et la neurologie y sont particulièrement mal représentées.
Président de l’Association des neurologues du Québec, le Dr Sylvain Chouinard confirme qu’il manque de neurologues dans la province, mais que les « trois L » est l’endroit « où la pénurie est la plus criante ». « On réussit difficilement à répondre aux demandes », dit-il.
Le Dr Chouinard souligne que le problème existe depuis des années. « On a ouvert plus de postes dans la dernière année et ça a aidé. Mais ce n’est pas suffisant », note-t-il. Dorénavant, les patients en attente d’une consultation en neurologie à Laval peuvent être vus à Montréal. « On est en train d’essayer de corriger la situation. On a bon espoir d’y arriver », affirme le Dr Chouinard.
La présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), la Dre Diane Francoeur, reconnaît que la région des « trois L » manque de spécialistes. Des travaux sont en cours pour corriger la situation. Déjà, les physiatres de Montréal offrent leurs services pour répondre à la demande des patients de Laval, des Laurentides et de Lanaudière.